• Conseillé par
    9 décembre 2014

    Ils sont nombreux, en ce jour glacial de février 1945, à se presser sur les bancs de l'église Saint-Pierre-de-Chaillot pour assister à la messe d'enterrement de la duchesse Natalie de Sorrente, née princesse de Lusignan. Officiellement, cette femme encore jeune est morte d'une embolie pulmonaire. La vérité est pourtant toute autre. Natalie de Sorrente est morte dévorée par la morphine, rongée par un secret de famille. Un secret de famille embarrassant mais si banal qu'autour d'elle on l'a balayé d'un désinvolte : ''ce sont des choses qui arrivent''. Mais pour cette princesse si fière de son ascendance, le secret s'est insinué comme un poison, balayant ses convictions les plus profondes, l'interrogeant sur ses origines à un moment de l'Histoire où l'occupant nazi en a fait une question de vie ou de mort.

    C'est à Cannes et dans ses alentours que l'aristocratie parisienne trouve refuge pendant l'Occupation. Ils ne fuient pas les persécutions allemandes, ils n'ont rien à se reprocher, leur particule les met à l'abri d'une quelconque ascendance juive et ils apprécient tout ce que fait Pétain pour la France. Non ils essaient d'échapper à un Pris qui s'enlise dans l'ennui et les restrictions. Sur la Côte d'Azur, le soleil brille, les dîners sont charmants et le bruit des bottes reste lointain. L'aristocratie est pétainiste, frivole, cynique, et peut se faire antisémite si l'air du temps l'exige. Dans ce monde qui l'a vu naître et où elle évolue comme un poisson dans l'eau, Natalie de Sorrente se targue d'être anti-conformiste, même si elle participe à l'insouciance générale. Même la découverte de sa filiation ne la fait pas dévier de sa trajectoire pailletée. Bien sûr, elle va laisser le doute s'insinuer en elle, s'interroger sur le sort des juifs mais n'ira pas jusqu'à trouver le courage de se démarquer de la complaisance teintée de lâcheté de son milieu. Elle mourra d'avoir fermé les yeux, de s'être tue.
    Un livre dérangeant dont le titre aux notes résignées décrit toute la passivité de l'aristocratie française à l'heure des choix. Eux ferment les yeux et essaient de maintenir leur train de vie. Dans ce monde où il faut avoir du sang bleu pour exister, les juifs ne sont pas dignes qu'on s'intéresse à leur existence ou à leur mort.
    Les petites histoires de ces mondains se mêlent à la grande Histoire sans réellement s'y frotter. Tandis qu'on danse dans les salons parisiens, qu'on fréquente les plus grandes tables du marché noir, ailleurs des hommes, des femmes, des enfants, portent une étoile jaune... Ils se vantent du passé glorieux de leurs ancêtres mais ils n'ont rien de glorieux ces aristocrates qui pactisent avec l'ennemi.
    Un beau roman qui décrit la guerre sous un angle original, même si l'empathie est difficile avec ces êtres frivoles et lâches.


  • Conseillé par
    6 décembre 2014

    1945. Le livre s'ouvre sur l'enterrement de la duchesse Nathalie de Sorrente où le gratin de l'aristocratie est venu lui rendre un dernier hommage. En moins de deux ans, cette jeune femme belle, séduisante qui vivait pour les bals, les dîners mondains dans l'insouciance la plus totale a vu son monde s'écrouler. Mais afin de préserver ses enfants et surtout des futures alliances, son mari la laissera emporter ses secrets.

    La guerre ennuie Nathalie épouse d'un Duc fervent admirateur de Pétain. Ils sont obligés de quitter Paris et ses fêtes pour Cannes où le reste de l'aristocratie trouve également refuge. Elle s'en fiche de la politique et de cette guerre. Tout ce qu'elle veut c'est retrouver sa vie d'avant.
    Entre gens de la bonne société où l'on affiche son pedigree, où l'on expose la bravoure des ancêtres, on continue de s'amuser. Et l'on ferme les yeux sur les juifs. Partout, les privations sautent aux yeux mais ce monde huppé se débrouille pour garder au minimum son train de vie. Sauf qu'à la mort de sa mère, elle apprend la véritable identité de son père. Le doute s'empare d'elle mais la lâcheté sera la plus forte.

    Avec des petites touches ironiques, cyniques, Pauline Dreyfus n'épargne pas son héroïne et l'aristocratie qui sait retourner sa veste quand elle a besoin. Un monde frivole et hypocrite mais l'auteure réussit à nous faire ressentir un peu d'empathie pour Nathalie par sa prise de conscience (ce qui n'était pas gagné d'avance). Ce roman sur la filiation restitue un monde qui se croyait à l'abri de de tout.
    A découvrir !


  • Conseillé par
    19 octobre 2014

    Chez ces gens-là...

    En cette glaciale matinée de février 1945, la haute aristocratie française enterre l'une des siennes, Natalie de Sorrente. Au premier rang, éplorés, le duc, son époux, leur fille Charlotte, tous deux à la flamboyante chevelure et le petit Joachim, le visage blême sous une tignasse sombre. Mais qui était cette jeune reine de Paris, autant désirée par les hommes que jalousée par les femmes, celle qui était à tu et à toi avec Charles et Marie Laure de Noailles, Jean-Louis et Baba de Faucigny Lucinge, Charles de Beistegui, Paul et Hélène Morand ou encore l'amusant Bérard, et que la mort a cueillie à juste 37 ans ?

    Retour en arrière. 14 Juin 1940 à l'aube, les Allemands pénètrent dans une capitale silencieuse et déserte. Ses habitants ont fui et avec eux ce petit microcosme qui  s'est installé  dans le Sud. A Cannes, les Sorrente tentent de reprendre cette existence de fêtes où l'on s'étourdit, où l'on pratique « le small talk » à défaut de ragoter. Natalie s'y ennuie à périr. Qu'importe que le pays soit à terre, qu'il ait confié les rênes du pouvoir  à un vieillard de 84 ans, que l'on persécute les juifs : « Ne l'auraient pas bien cherché ceux- là » , «les juifs, on ne sait pas très bien ce que c'est ». Et puis « la collaboration est une chance, le bolchevisme, voilà l'ennemi commun. » Heureusement le champagne continue à couler, les papilles se régalent de caviar et parfois à la faveur d'une étreinte naît un petit garçon, aussi brun que sa sœur est rousse. « Ce sont des choses qui arrivent ».

    Le mensonge « dans l'air du temps » un jour explose et la révélation de sa filiation fait  basculer le destin de Natalie. Elle n'est pas la fille du prince de Lusignan et soudain le terme de bâtard plane au-dessus de la maison des Sorrente. « Ce sont des choses qui arrivent. » Dans ces conditions, la fin ne peut être que tragique.

    Pauline Dreyfus  dresse un tableau ravageur de cette société où la naissance et sa nécessaire alliée, la fortune, étaient tout. Corsetés dans leurs certitudes et leurs préjugés, ces « heureux du monde » n'entendaient jamais « être à côté » et toute mésalliance équivalait à un ostracisme sans appel.

    De ce monde, Pauline Dreyfus semble n'ignorer aucun de ses us et coutumes, et sa peinture frappe avec une totale justesse. En filigrane, apparaissent l'antisémitisme et les problèmes de filiation. Une  documentation parfaite, une plume que ne renierait pas un Paul Morand, « Ce sont des choses qui arrivent » est aussi impeccable qu'implacable. En contrepoint, Natalie de Sorrente s'apparente plus à une silhouette qu'à un personnage de chair et de sang. Elle traverse la vie telle une somnambule. A moins que ce ne soit le moyen pour l'auteur de montrer qu'en dehors de ses tics de classe, elle n'a pas de réelle existence.

    Lire la suite de la critique sur le site o n l a l u


  • Conseillé par (Libraire)
    31 juillet 2014

    La descente aux Enfers d'une femme qui s'humanise

    1945. Dans l'église huppée de Saint-Pierre de Chaillot, l'aristocratie s'est réunie en masse pour assister à l'enterrement de la duchesse Nathalie de Sorrente. Dur d'imaginer que cette femme, si belle, si riche, si élégante et insouciante a caché au plus profond d'elle-même, et jusqu'à la tombe, un lourd secret. Consumée par "ce que tout le monde sait mais ce que tout le monde tait", Nathalie de Sorrente traverse la guerre en prenant peu à peu conscience d'elle-même et du monde qui l'entoure.

    "Ce sont des choses qui arrivent" ne parle pas tant de la guerre que du destin d'une femme insouciante confrontée soudainement à la douleur de ses semblables. Née princesse, épouse de duc, Nathalie est une femme riche pour qui la vie est parfois ennuyeuse sinon d'une banale facilité. Égoïste parce que peu concernée par la guerre et ses tourments, l'aristocrate légère découvre le malheur des hommes en même temps que les vieux secrets de famille se déterrent. Elle qui pensait être à l'abri d'une guerre qui ne la concerne pas, comprend peu à peu les tragédies qui se jouent en France tandis que les diners mondains perdurent, à son grand écœurement.

    Pauline Dreyfus restitue de façon simple mais poignante, la longue prise de conscience et la descente en Enfer qui l'accompagne, d'une femme qui s'humanise. Une héroïne que l'on apprivoise au fur et à mesure, une peinture sociale de la guerre vue par les riches, un autre point de vue mais les mêmes douleurs, peut-être.