Jérôme E.

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5 janvier 2012

AU DESSUS DE LA HAINE

Ce nouveau roman de Claire Fournier est une histoire d’eau de mer entre la Baltique et l’Iroise, d’eau de « vie » au sens que l’on donne à l’amour, le vrai, celui de toujours qui, au fil des complexités inhérentes aux temps de guerre, réunit les amants dont les jaloux eussent voulu qu’ils ne se rencontrassent jamais.

Nous sommes en 1943, non loin de Brest, pointe de la Bretagne, mais aussi ponant du bout de l’Europe, d’ici l’on ne va nul part, la mer sert de frontière, et cette évidence géographique si facile à signifier mais inabordable dans ce qu’elle est au quotidien, Claire Fournier l’évoque mieux que personne sans pour autant jamais la signifier. (Seuls, peut-être, Bretons et Corses comprendront ce que je veux dire.)


De ces amours de guerre souvent redondantes, Claire Fournier fait un roman unique où le remarquable cavale après l’extraordinaire. Peu d’emphase, elles n’auraient d’ailleurs servi à rien, mais une écriture limpide, presque sobre, en tous cas simple, c’est à dire sans excès et merveilleusement juste. Hermann, jeune et bel officier allemand logé en réquisition dans les environ brestois, rencontre la fille de famille. Gloada est séduite. Mille fois vécues, l’histoire valut à la libération les pires maltraitances à des femmes abandonnées par l’amour en déroute. C’était sans compter sur le talent de l’auteur qui choisit une nouvelle approche, fraternelle, singulière et celtique. Ce n’est plus l’amour qui rattrape la guerre et s’en sert, mais l’inverse. La guerre est là, sans bruit ni tapage. Comme le pain sur la table et certaines évidences rarement écrites :

« (…) Un jour viendra où Hitler hantera l’imaginaire des peuples plus que Lénine ou Staline… Pourquoi ? Parce que dans un monde laid, Hitler aura fait référence, fût-ce d’une manière vertigineusement insensée, à l’art, à la beauté… Les autres n’auront parlé que d’idéologie. »

Nul doute, Claire Fournier connait son sujet. Aux silences de la guerre, elle ajoute ceux de la mer, lien culturel indéfectible entre les protagonistes, cette mer discrète bien qu’omniprésente, fière et absolue. Nouveaux extraits, pages 102 & 108 :

« La mer d’Iroise et la mer Baltique brassaient les mêmes flots, soulevaient les mêmes vagues, nous commandaient d’y nouer notre destinée. »

« Je peux dire que quelque chose de vrai se réfléchissait en nous comme dans un miroir. Même, nous étions comme un miroir qui regardait la chose réfléchie. Quelque chose ? La tention gratuite et risquée vers l’autre. J’invitais son silence dans mon lit. »

« J’ose écrire que les mots savaient mieux que nous ce que nous devions dire. Aussi les laissions-nous dire. L’entente se situait en deçà des mots, et nous nous reposions en eux qui montaient d’une compréhension. Peut-être les mots étaient-ils le sourire de l’entente , – la face audible de l’harmonie. »

Et bien, pour écrire ça et comme cela, il faut avoir beaucoup, mais alors beaucoup travaillé son texte. Croyez-moi. Le roman de Claire Fournier n’est pas unique, il est seul, séparé des autres face à la mer qui nous rappelle à son manque lorsque l’on est loin d’elle, seul face à l’évidence qui renvoie au talent lorsque l’on s’en approche.